Notre route se poursuit en Inde du Nord: comme toujours depuis le début du voyage, elle est ponctuée d’événements insolites qui nous interpellent, nous amusent, nous agacent aussi parfois…
Ghostrider
Sur la route, Shri nous arrête religieusement devant le Motorbike Temple. Oui, le temple de la Moto.
L’histoire dit qu’il y a vingt ans de cela eu lieu un terrible accident, dans lequel le conducteur d’une moto trouva la mort. La police ramassa le corps, la moto et emmena tout ça à Jodhpur, à quelques 80 km.
C’était la nuit, et pourtant, la moto, vaillamment, rejoignit le lieu de l’accident. Toute seule, oui, toute seule. Elle voulait rester à l’endroit où son maître était mort bien sûr ! La police revint chercher la moto, la ramena, mais une fois de plus, elle repartit au même endroit.
Une fois, deux fois, au bout de la troisième fois la police la laissa là bas, et c’est donc à cet endroit qu’on érigea un temple, où est exposée la fidèle Royal Enfield Bullet.
Oui, oui, oui ! On a envie de rire, mais Siri est tellement sérieux quand il nous raconte ça, qu’on a peur de le vexer
Pas besoin de préciser qu’il y avait foule à cet endroit, les gens viennent s’y presser, les bras chargés d’offrandes, pour prier le Dieu Bullet.
Un peu avant ça, nous avions découvert l’Homme-Chenille
Vous vous souvenez, de ce fameux festival auquel les gens vont parfois pieds nus, laissant les chaussures s’amonceler sur les bas côtés de la route ? Ce festival draine un monde incroyable. Certains sont prêts à faire 100 ou 200 km à pieds pour arriver là bas, et rendre hommage à Ganesh.
Tout le long de la route, nous avons vu des cortèges joyeux d’hommes qui dansent, de femmes qui rient, une immense communion. Et puis, il y a eu l’Homme-Chenille. Alors lui, en fait, il a promis à son Dieu qu’il allait arriver en mode chenille, et il espère qu’en retour, il lui sera accordé chance, longue vie et tout le blabla. (C’est Siri qui nous explique cela, comme si c’était normal, hein)
Donc il rampe. Il rampe. Et derrière lui, il y a un autre homme avec un drapeau rouge, lui, il est là pour signaler la présence de l’Homme-Chenille aux automobilistes, pour pas qu’ils l’écrasent.
Quand on l’a croisé, ils devaient être à environ 80 km du temple. Le festival ne durant qu’une semaine, on lui souhaite vraiment d’arriver à temps.
Ce serait vraiment con sinon!
Des histoires de Femmes
Le regard dans le vague, la tête toute à mes songes, je contemple les couleurs éclatantes des Saris des femmes au bord de la route. Elles ondulent avec grâce, dans le vert des champs, le tableau est joli.
Puis j’ouvre les yeux pour de vrai, je les regarde cette fois. Elles sont chargées, de lourds fagots de bois, de grosses jarres pleines d’eau, ou des paniers remplis de grains, sur la tête. Elles sont courbées en deux, dans les champs. Elles cassent les pierres, sur le bord de la route. Elles portent les matériaux, sur les chantiers des maisons. Emmaillotées dans ce Sari que je trouvais si joli. Leur visage est dur et buriné, leur regard semble vide.
Ici, les hommes font la couture pendant que les femmes réparent les routes. Le sexe n’est faible que quand il s’agit de prendre la parole ou d’affirmer son choix.
De choix, elles n’en ont pas. Les femmes sont souvent juste bonnes à marier, et encore faut-il qu’on veuille bien d’elles. Le mariage n’est toujours que l’alliance de deux familles. Si des parents doivent choisir lequel de leur enfant ira à l’école, ce sera toujours le garçon. Si la fille fait des études, ce ne sera souvent que pour être meilleure à marier. Si elle a de la chance, on la mariera avec un homme de son âge, qui au pire l’ignorera. Sinon, elle partira avec un vieux con, qui rentrera ivre et la battra.
Le divorce, elle n’y pensera même pas, mieux vaut mourir. D’ailleurs, il persiste une coutume officiellement interdite, le sati. C’est lorsqu’une veuve part s’immoler sur le bucher crématoire de son défunt mari. C’est pas par amour, hein. Parce qu’elle lui appartient, à lui, et pas un autre. Et que sans lui, elle n’est plus rien.
Elle lui appartient tellement qu’à partir du moment où elle est mariée, elle se voile. Elle rabat en fait le voile de son sari, afin de recouvrir entièrement son visage. J’ai demandé à Shri pourquoi cela. Il m’a expliqué que sa femme aussi se voilait pour sortir, par respect pour lui, comme ça, les hommes ne la regardent plus. On pourrait éduquer les hommes pour qu’ils arrêtent de reluquer les femmes comme des bestiaux, mais non.
« Quelle fôôôrmidable leçon de vie » diront quelques occidentaux, avant de retrouver le confort de leur pays et leur société bien huilée
Pour alléger leur conscience ils donneront même 20 € à « Empowered Women » car « c’est tellement bien ce qu’ils font ! »
Chhhhhhut, tais-toi. Ne leur fais pas l’insulte de la pitié ou de la compassion. Vois, regarde en silence, puis passe ton chemin.
« Aide toi, le Ciel t’aidera » me dit ma religion. Tandis que la leur les maintient dans le fatalisme.
Principe de la réincarnation, doublé du système des castes. Pas d’bras, pas d’chocolat! T’avais qu’à naitre au bon endroit!
Vous en faites pas hein. Malgré le ton souvent sarcastique, quelques fois même acide de nos récits nous ne sommes pas malheureux. Je ne suis pas douée pour décrire les merveilles d’architectures que nous visitons, et puis d’ailleurs les photos suffisent à mon sens à en montrer la beauté.
Je ne sais pas non plus transcender la réalité pour en faire un truc fantastique du genre « quel bonheur que de voir le sourire éclatant sur le visage de ces enfants, pourtant si pauvres, si miséreux », et puis pour le reste, il y a les guides et les brochures touristiques !
On décrit ce qu’on voit, au fur et à mesure qu’on le vit. Ça évolue dans nos têtes, jour après jour. Malgré les côtés parfois pénibles du voyage, on sait rester légers. L’essentiel est que nous fassions cette route ensemble, tous les deux. Le reste, ça va, ça vient.
L’Inde ne sera certainement pas un pays que nous allons adorer. Mais je pense par contre qu’il nous marquera!
Si vous avez raté notre voyage en Inde:
- Delhi de Fuite
- Inde: de Delhi à Mandawa
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- Déchets en Inde: ça déborde!
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- Petites histoires de l’Inde: une moto fantôme et des femmes
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- Bilan de notre voyage en Inde
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1 comment
Comment by Nathalie ( blog Mosaïques)
Nathalie ( blog Mosaïques) 28 July 2015 at 11 h 24 min
Ton paragraphe sur les femmes me touche. Tu as su trouver les mots pour véhiculer tes émotions. Je ne suis pas arrivée à le faire quand j’étais en Inde. J’admirais les couleurs des saris et quand je pensais aux sorts des femmes là-dessous, je sentais la révolte monter! J’ai souvent préféré ne pas y penser. Je me dis souvent que ce n’est pas très sain les commentaires de certains voyageurs qui véhiculent un certain “romantisme de la misère”. Vivre dans la misère, c’est un fardeau quotidien. Oui, la religion aide beaucoup, mais à mon avis, elle aide surtout à ne pas se poser de questions, ne pas se révolter et se résigner. Essayer d’imaginer ce que ressent une femme indienne pauvre est à mon avis impossible pour une femme occidentale. Elles ne vont pas nous raconter et la version des hommes est bien différente…Et nos systèmes de valeur sont tellement différents! Par exemple, la notion de bonheur. Comment elles le definiraient? Est-ce que ça a un sens pour elles ? Vaste sujet!
Merci pour tes beaux écrits! Grâce à toi, je vais essayer d’écrire sur mon expérience en Inde! :-)