Chaque journée ou presque passée en Inde est éprouvante. Pas insupportable, éprouvante, juste, parce que nous avons chaque fois droit à notre lot de surprises. Après le Temple aux rats et les photos forcées, nous partons en direction de Khuri, puis de Jaisalmer.
Sur la route, Siri nous propose de nous arrêter dans un Parc, près d’un lac où nous pourrions admirer des oiseaux. Cela fait déjà quelques temps qu’il nous en parle, et comme nous arrivons à l’endroit, nous acceptons de nous y arrêter.
Siri bifurque donc de la voie principale et s’enfonce sur une route de terre qui traverse un hameau de maisons déchiquetées. Aussitôt arrivés, une horde d’enfants entourent la voiture en piaillant. Ils courent, et se jettent sur le véhicule comme des moineaux affolés. Siri s’arrête et nous fait signe que nous sommes arrivés. Il nous attendra là, tandis que nous devrons passer l’escalier de pierres qu’il nous montre, pour arriver au lac.
Nous sortons un peu étonnés, car l’endroit ne correspond pas vraiment à l’idée qu’on s’en faisait: ça semble abandonnée, on voit de gros tuyaux en béton qui sortent du sol. Ils drainent de l’eau vers une sorte d’étang un peu plus loin. Tout ça ne ressemble pas à un lac et encore moins à un parc aux oiseaux.
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Nous avançons prudemment, j’ai même un peu peur, ça sent le guet-apens.
Les enfants nous accompagnent, et continent leur virevolte tapageuse. Une grande au regard fière, très belle, semble gouverner le petit groupe. Les plus petits sont vêtus de leur costume d’écolier bleu. Un costume délavé et déchiré.
Les filles s’emparent de mes bras, je n’en ai pas assez pour toutes les supporter! Tandis que les garçons filent avec Julien: c’est lui qui tient l’appareil. Ils insistent pour être photographiés et posent par groupe de deux, puis trois. Ils sont beaux. Tellement souriants, insouciants, vivants. Le décalage entre leur vivacité et le misérable de leur existence est frappant. On les sait pauvres, c’est évident, et pourtant, ils ont l’air si joyeux.
Les filles, avec moi, me regardent avec des yeux qui brillent. Il n’y a ni convoitise, ni méchanceté dans leurs yeux. J’ai l’impression d’être un joyau pour elles, elles me guident, déblaient la route sur mon passage pour que je ne me blesse pas.
Elles ont l’air de m’admirer et pourtant: à cette instant, c’est moi qui les admire. Si belles, si fortes. Moi je me sens un tout petit rien insignifiant à côté d’elles. Je suis une touriste, une blanche, une occidentale. Je dépense en un mois ce qui leur permettrai de vivre une année, je me plains, je gaspille, je ne me rend pas compte de tout ça. Je vis égoïstement, dans ma cellule dorée, sans ouvrir les yeux sur le monde qui m’entoure. Je me plains d’un pays que je trouve sale, et poussiéreux, sans regarder vraiment les gens qui y vivent.
Sans voir la force qui est dans leurs yeux, et que je n’aurai, probablement, jamais en moi.
La gorge serrée, je reste quelques instants avec les fillettes. Nos échanges sont banals, mais c’est la situation qui me choque. Un tel décalage.
La grande, magnifique au regard de fer me guide et me décrit le pauvre paysage qui nous entoure. On a dû lui dire, qu’on nous attirerait là en nous promettant un parc. Alors, la pauvre fait de son mieux. Elle nous montre l’étang asséché, nous parle des oiseaux qui ne sont pas là, nous parle de son pays, et de sa fierté :
“This is India!”
Les plus petits tentent de nous demander des sous, tandis que la grande les reprend: “no money, no! Chocolate!” Elle est bien rodée, elle a l’habitude de recevoir des blancs ici, son discours est ferme et précis. Mais toujours doux et raisonnable.
Doucement, ils nous entrainent loin de l’étang, devant une cahute posée là, et qui vend justement des bonbons, du chocolat. Julien, déboussolé, commet une erreur: il tend un billet au plus grand des garçons et le charge de partager avec les petits. Les petits se mettent à crier, qu’il ne le fera pas. Je vois ça du coin de l’oeil, je rattrape Julien et le sermonne: “pas d’argent aux enfants“. Trop tard. Le mal est fait. Julien est triste à en pleurer. Il sait qu’il n’aurait pas dû.
Il n’avait pas de mauvaises attentions. Juste beaucoup de peine, de honte et de scrupules pour ces enfants qui n’ont rien. Mais leur donner de l’argent n’est pas une solution. D’ailleurs Siri lui même nous reprend. Il intervient à ce moment là, alors qu’il restait dans l’ombre. C’est lui qui avait tout organisé. La grande était la chef, celle qu’il avait briefée pour ne pas demander d’argent, justement. Siri le sait, ça ne les aidera pas, même si on en a plein les poches.
Alors nous leur achetons ces bonbons qu’ils convoitaient tant. Maigre consolation qui déclenche pourtant les cris de plaisir des petits.
Nous reprenons la route, murés dans un silence. Le moment était très beau et incroyablement triste.
Nous avons pris une claque. De celles, c’est certain, que nous n’oublierons pas.
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6 comments
Comment by Roxane (Allonsvoirailleurs)
Roxane (Allonsvoirailleurs) 27 June 2013 at 2 h 16 min
Magnifique texte, une fois de plus… Celui-ci m’a donné la larme à l’oeil. L’Inde n’est pas sur notre liste (cette fois-ci) mais malgré tout ce qu’on en dit et les préjugés tenaces, ça me donne quand même envie d’y aller… Un autre voyage, sans doute! Roxane
Comment by Nowmadz
Nowmadz 27 June 2013 at 9 h 10 min
C’était un beau voyage, avec le recul on ne le regrette pas. C’est hyper perturbant à vivre, parfois douloureux, on en ressort amer, fatigué, agacé… Et paradoxalement on en garde un beau souvenir.
On vous souhaite d’y aller un jour, mais c’est pas plus mal de ne pas l’avoir intégré dans votre tdm: il faut un peu de temps pour s’en remettre, ne serait ce que niveau fatigue et du coup ça “empiète” sur le pays qui vient après.
Bonne route à tous les deux, on continuent à vous suivre, bises!
Comment by Camille
Camille 28 June 2013 at 14 h 18 min
Quel beau récit…
L’Inde est sur ma route, en première destination en plus… J’espère que ça va bien se passer tout de même/
Comment by Nowmadz
Nowmadz 29 June 2013 at 12 h 39 min
Meuuuh oui Camille! :) C’est dur sur le moment, mais après coup ça laisse de sacrés souvenirs…
Comment by Mikeontheroad
Mikeontheroad 16 February 2015 at 23 h 03 min
L’inde me fascine mais me fait également très peur. Mais ton récit me donne envie d’explorer ce pays de fond en comble. J’irais peut être à reculons au début, et je serais sur mes gardes. Peut être que c’est un préjugé à la con qui n’a pas lieu d’être !
Comment by Nowmadz
Nowmadz 24 February 2015 at 22 h 40 min
Hello Mike! Moi je crois surtout qu’il n’y a pas de “préjugé à la con” ;-) L’Inde est un pays à découvrir, simplement il faut s’attendre au choc, car je suis certaine qu’il arrive à 98% des voyageurs qui s’y rendent. En fait, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui n’ait pas été marqué par ce pays, en positif, comme en négatif…